Traduction de l'Athrabeth Finrod ah Andreth

 

 

Il arriva alors qu’à une période de printemps[1], Finrod soit pour un moment l’invité de la maison de Belemir, et il se retrouva à parler avec Andreth la Femme Sage des Hommes et de leurs destins. Car à cette époque, Boron, Seigneur du peuple de Bëor, était mort tout dernièrement, peu de temps après Yule, et Finrod était affligé.

« Triste à mes yeux, Andreth, » dit-il, « est la disparition rapide de ton peuple. Car maintenant Boron, le père de ton père, s’en est allé, et bien qu’il fût vieux[2], dis-tu, à considérer l’âge des Hommes, pourtant je ne l’ai connu que trop brièvement. En vérité, un court moment semble à mes yeux s’être écoulé depuis que je vis Bëor[3] pour la première fois à l’est de ce pays ; et pourtant il s’en est maintenant allé, et ses fils, et le fils de ses fils également. »

« Cela fait maintenant plus de cent années, » dit Andreth, « depuis notre venue par-delà les Montagnes ; et Bëor, Baran et Boron vécurent chacun au-delà de leur quatre-vingt-dixième année. Notre disparition était plus rapide avant que nous ne trouvions ce pays. »

« Êtes-vous donc contentés ici ? » dit Finrod.

« Contentés ? » dit Andreth. « Le cœur d’aucun Homme n’est contenté. Toute disparition et mort lui est chagrin, mais si le flétrissement est moins précoce, alors il y a comme un amendement, une petite levée de l’Ombre. »

« Que veux-tu dire par cela ? » demanda Finrod.

« Sûrement, tu le sais bien ! » dit Andreth. « La ténèbre qui est maintenant confinée dans le Nord, mais qui autrefois - », et là elle marqua une pause, et ses yeux s’assombrirent, comme si son esprit était retourné dans des années noires qu’il valait mieux oublier. « Mais qui autrefois s’étendait sur toute la Terre du Milieu, pendant que vous demeuriez dans votre béatitude. »

« Ma question ne concernait pas l’Ombre », dit Finrod. « Que veux-tu dire, plutôt, par la levée de celle-ci ? Ou en quoi le prompt destin des Hommes est-il concerné par elle ? Vous aussi, soutenons-nous (ayant été instruits par les Grands qui savent), êtes Enfants d’Eru, et votre destin comme votre nature viennent de Lui. »

« Je vois, » dit Andreth, « qu’en cela, vous autres Hauts-Elfes ne différez pas de votre parenté moindre que nous avons rencontrée de par le monde, bien qu’ils n’aient jamais demeuré dans la Lumière. Vous tous, Elfes, considérez que nous mourons rapidement de par notre vraie nature. Que nous sommes fragiles et brefs, et vous forts et durables. Nous sommes peut-être « Enfants d’Eru », comme vous le dites dans votre tradition, mais nous sommes des enfants pour vous également : à aimer un peu peut-être, et pourtant des créatures de valeur moindre, sur lesquelles vous pourriez jeter un regard du haut de votre pouvoir et de votre connaissance, avec un sourire, ou avec pitié, ou avec un hochement de tête. »

« Hélas, tes paroles sont proches de la vérité », dit Finrod. « Au moins pour beaucoup de mon peuple, mais pas pour tous, et certainement pas pour moi. Mais comprends bien cela, Andreth, lorsque nous vous nommons « Enfants d’Eru » nous ne parlons pas à la légère, car ce nom, nous ne le prononçons jamais pour plaisanter ou sans réelle intention. Quand nous parlons ainsi, nous nous prononçons en connaissance de cause, non pas sur la simple foi de la tradition elfique : et nous proclamons que vous êtes nos parents, d’une parenté bien plus proche (à la fois de hröa et de fëa) que celle qui lie ensemble toutes les autres créatures d’Arda, et nous-mêmes à elles.

« Les autres créatures de la Terre du Milieu, nous les aimons également à leur mesure et dans leur genre : les bêtes et les oiseaux qui sont nos amis, les arbres, et même les belles fleurs qui passent plus vite que les Hommes. Nous regrettons leur mort, mais croyons qu’elle fait partie de leur nature, autant que sont leurs formes ou leurs couleurs.

« Mais pour vous, qui êtes nos plus proches parents, notre regret est bien plus grand. Pourtant, si nous considérons la brièveté de la vie sur toute la Terre du Milieu, ne devons-nous pas croire que votre brièveté fait également partie de votre nature ? Votre propre peuple ne le croit-il pas non plus ? Et pourtant, par tes mots et leur amertume, je devine que tu penses que nous sommes dans l’erreur. »

« Je pense que vous êtes dans l’erreur, et tous ceux qui pensent de même, » dit Andreth, « et que cette erreur même vient de l’Ombre. Mais pour parler des Hommes. Certains diront ceci et d’autres cela, mais la plupart, ne réfléchissant que peu, soutiendront toujours que ce qui est dans leur brève durée de vie dans le monde a toujours été ainsi, et restera ainsi pour toujours, que cela leur plaise ou non. Mais il y en a d’autres qui pensent autrement ; les Hommes les appellent « Sages », mais ne tiennent que peu compte d’eux. Car ils ne parlent pas avec assurance ou d’une seule voix, n’ayant pas de connaissance sûre telle que celle dont vous vous vantez, mais la leur reposant nécessairement sur la « tradition », dans laquelle la vérité (si elle peut être trouvée) doit être discernée, comme le bon grain de l’ivraie. Et à chaque tri, il y a de l’ivraie avec le bon grain choisi, et sans aucun doute du bon grain avec l’ivraie qui est rejetée.

« Pourtant parmi mon peuple, de bouche de Sage à oreille de Sage, depuis les ténèbres, arrive la voix qui dit que les Hommes ne sont pas à présent comme ils étaient, ni comme leur vraie nature était à leur commencement. Et encore plus clairement est-ce dit par les Sages du Peuple de Marach, qui ont préservé dans leur mémoire un nom pour Celui que vous nommez Eru, bien que dans mon peuple Il fut quasiment oublié. Ainsi je l’apprends d’Adanel. Ils disent clairement que les Hommes ne sont pas dotés par nature d’une vie courte, mais l’ont vue devenir ainsi par la malice du seigneur des Ténèbres qu’ils ne nomment pas. »

« Cela je peux bien le croire, » dit Finrod : « que vos corps souffrent dans une certaine mesure de la malice de Melkor. Car vous vivez en Arda Marrie, comme nous, et toute la matière d’Arda a été entachée par lui, avant que vous ou nous ne nous avancions et ne sortions nos hröar et leur substance d’elle : tout sauf seulement peut-être Aman avant son arrivée là-bas. Car sache-le, il n’en est pas autrement avec les Quendi eux-mêmes : leur santé et leur stature sont diminuées. Déjà, ceux d’entre nous qui résident en Terre du Milieu, et même nous qui y sommes retournés, trouvent que le changement de leur corps est plus rapide qu’au début. Et cela, j’estime, doit présager qu’ils se révèleront moins aptes à durer que ce qu’ils avaient été conçus, bien que cela puisse ne pas être révélé clairement avant de nombreuses et longues années.

Et de même avec les hröar des Hommes : ils sont plus faibles que ce qu’ils devraient être. Ainsi il advient qu’ici dans l’Ouest, où son pouvoir d’antan s’étendait à peine, ils ont une meilleure santé, comme tu le dis. »

« Non, non ! » dit Andreth. « Tu ne comprends pas mes mots. Car tu es toujours d’un avis, mon seigneur : les Elfes sont les Elfes, et les Hommes sont les Hommes, et bien qu’ils aient un Ennemi commun, par lequel tous sont atteints, l’écart instauré demeure toujours entre les seigneurs et les humbles, les premiers arrivants élevés et durables, les suivants abaissés et de service bref.

« Ce n’est pas la voix que les Sages entendent des ténèbres et d’au-delà d’elle. Non, seigneur, les Sages parmi les Hommes disent : « Nous n’étions pas faits pour la mort, ni nés pour jamais mourir. La mort nous a été imposée. » Et vois ! la peur de celle-ci est toujours avec nous, et nous la fuyons à jamais comme le cerf  fuit le chasseur. Mais pour ma part j’estime que nous ne pouvons y échapper dans les limites de ce monde, non, pas même si nous pouvions parvenir à la Lumière par-delà la Mer, ou cette Aman dont vous parlez. Dans cet espoir, nous nous sommes mis en route et avons voyagé durant de nombreuses vies d’Hommes, mais l’espoir était vain. Ainsi parlèrent les Sages, mais cela n’a pas arrêté la marche, car comme je l’ai dit, ils sont peu écoutés. Et voici ! nous avons fui l’Ombre jusqu’aux derniers rivages de la Terre du Milieu, pour trouver seulement qu’elle est là devant nous ! »

Puis Finrod garda le silence, mais après un moment il dit : « Ces mots sont étranges et terribles. Et tu parles avec l’amertume de quelqu’un dont l’orgueil a été humilié, et qui cherche donc à blesser ceux à qui il parle. Si tous les Sages parmi les Hommes parlent ainsi, alors je peux bien comprendre que vous avez souffert d’une grande blessure. Mais pas par mon peuple, Andreth, ni par aucun des Quendi. Si nous sommes comme nous le sommes, et vous êtes comme nous vous trouvons, ce n’est pas par aucun de nos actes, ni de notre désir, et votre chagrin ne nous réjouit pas, ni ne nourrit notre orgueil. Seul un parlerait autrement, cet Ennemi que vous ne nommez pas.

Prends garde à l’ivraie mêlée au bon grain, Andreth ! Car cela pourrait être mortel : les mensonges de l’Ennemi qui de l’envie vont engendrer la haine. Toutes les voix qui sortent des ténèbres ne diront pas la vérité à ces esprits qui cherchent à entendre d’étranges nouvelles.

« Mais qui vous a fait cette blessure ? Qui a imposé la mort sur vous ? Melkor, il est clair que c’est ce que tu dirais, ou tout autre nom que tu as pour lui en secret. Car tu parles de mort et de son ombre, comme si elles étaient une seule et unique chose, et comme si échapper à l’Ombre était également échapper à la Mort.

« Mais ces deux choses ne sont pas les mêmes, Andreth. Ainsi le considéré-je, ou l’on ne trouverait nulle part la mort dans ce monde qu’il n’a pas conçu, mais un Autre. Non, la mort n’est que le nom que nous donnons à quelque chose qu’il a assombri, et qui semble par conséquent mauvais, mais sans cet assombrissement, ce nom serait bon. »

« Que connaissez-vous de la mort ? Vous ne la craignez pas, car vous ne la connaissez pas, » dit Andreth.

« Nous l’avons vue, et nous la craignons, » répondit Finrod. « Nous aussi pouvons mourir, Andreth, et nous sommes morts. Le père de mon père périt cruellement, et beaucoup l’ont suivi, exilés dans la nuit, dans la glace cruelle, dans la mer insatiable. Et en Terre du Milieu nous sommes morts, par le feu et par la fumée, par le poison et les cruelles lames de la bataille. Fëanor est mort, et Fingolphin fut piétiné par les pieds du Morgoth.

« Dans quel but ? Pour renverser l’Ombre, ou si cela ne peut être, pour l’empêcher de se répandre une fois de plus sur toute la Terre du Milieu – pour défendre les Enfants d’Eru, Andreth, tous les Enfants et pas seulement les fiers Eldar ! »

« J’avais entendu, » dit Andreth, « que c’était pour regagner votre trésor que votre Ennemi avait dérobé ; mais peut-être que la Maison de Finarphin n’est pas en accord avec les Fils de Fëanor. Cependant, malgré toute votre valeur, je le redis : « que connaissez-vous de la mort ? » Pour vous elle peut être douloureuse, elle peut être amère, et une perte – mais pour un temps seulement, une petite part retirée de l’abondance, à moins que l’on ne m’ait pas dit la vérité. Car vous savez qu’en mourant vous ne quittez pas le monde, et que peut-être vous retournerez à la vie.

« Il en va autrement avec nous : en mourant nous mourons, et nous partons sans retour. La mort est la fin ultime, une perte irrémédiable. Et cela est abominable, car c’est également un mal qui nous est fait. »

« Cette différence, je la perçois, » dit Finrod. « Vous diriez qu’il y a deux morts : l’une est un mal et une perte mais pas une fin, l’autre est une fin sans recours ; et les Quendi ne souffrent que de la première ? »

« Oui, mais il y a aussi une autre différence, » dit Andreth. « L’une n’est qu’une atteinte dans les hasards de ce monde, que les braves, ou les forts, ou les fortunés peuvent espérer éviter. L’autre est la mort inéluctable ; le chasseur auquel à la fin on ne peut échapper. Qu’un Homme soit fort, ou prompt, ou vaillant ; qu’il soit sage ou fou ; qu’il soit mauvais ou qu’il ait été dans tous les actes de sa vie juste et miséricordieux, qu’il aime le monde ou le déteste, il doit mourir et le quitter, et devenir charogne que les hommes cachent ou brûlent volontiers. »

« Et à être ainsi poursuivis, les Hommes n’ont-ils aucune espérance ? » dit Finrod.

« Ils n’ont aucune certitude ni connaissance, seulement la peur, ou des rêves sombres, » répondit Andreth. « Mais l’espérance ? L’espérance, c’est un autre problème, duquel seuls les Sages parlent rarement. » Puis sa voix s’adoucit. « Pourtant, Seigneur Finrod de la Maison de Finarphin, des hauts et puissants Elfes, peut-être pourrons-nous parler de cela un jour, toi et moi. »

« Un jour peut-être, » dit Finrod, « mais à présent nous marchons dans les ombres de la peur. Jusqu’ici, alors, je perçois que la grande différence entre les Elfes et les Hommes réside dans la vitesse de la fin. En cela seulement. Car si tu considères que pour les Quendi il n’y a pas de mort inéluctable, tu es dans l’erreur.

« Il se trouve qu’aucun de nous ne connaît, bien que les Valar le connaissent peut-être, le futur d’Arda, ou le temps qu’il lui ait été imparti à durer. Arda a été faite par Eru, mais Il n’est pas en elle. Seul l’Unique n’a pas de limites. Arda, et Ëa elle-même, doivent ainsi être limités. Vous nous voyez, nous, les Quendi, toujours dans les premiers âges de notre existence, et la fin est bien loin. Comme peut-être parmi vous la mort pourrait apparaître à un jeune homme dans toute sa force ; sauf que nous avons de longues années de vie et de réflexion derrière nous. Mais la fin viendra. Cela nous le savons tous. Et alors nous devrons mourir, nous devrons périr complètement, il semble, car nous appartenons à Arda (en hröa et fëa). Pour trouver quoi au-delà ? « Le départ sans retour », comme tu dis, « la fin ultime, la perte irrémédiable » ?

« Notre chasseur n’avance que lentement, mais il ne perd jamais la trace. Au-delà du jour où il sonnera l’hallali, nous n’avons aucune certitude, aucune connaissance. Et personne ne nous parle d’espérance. »

« Je ne savais pas cela, » dit Andreth, « et pourtant… »

« Et pourtant au moins la nôtre n’arrive que lentement, dirais-tu ? » dit Finrod. « Exact. Mais il n’est pas certain qu’un destin prévu et longtemps retardé soit en aucune façon un fardeau plus léger qu’un qui arrive tôt. Mais si j’ai bien compris tes mots jusqu’ici, tu ne crois pas que cette différence avait été conçue ainsi au commencement. Vous n’étiez pas en premier lieu destinés à une mort prompte.

« Beaucoup pourrait être dit au sujet de cette croyance (que cette intuition soit juste ou non). Mais je demanderai en premier lieu : comment dites-vous que cela est arrivé ? Par la malice de Melkor, ai-je deviné, et tu ne l’as pas démenti. Mais je vois maintenant que tu ne parles pas de la diminution que tout ce qui est en Arda Marrie subit, mais d’une sorte de coup spécial de l’Ennemi contre votre peuple, contre les Hommes en tant qu’Hommes. Est-ce cela ? »

« Ça l’est, en vérité, » dit Andreth.

« Alors, c’est un sujet de terreur, » dit Finrod. « Nous connaissons Melkor, le Morgoth, et savons qu’il est puissant. Oui, je l’ai vu, et j’ai entendu sa voix, et je me suis tenu aveugle dans la nuit qui est au cœur de l’ombre, de laquelle toi, Andreth, ne sait rien si ce n’est par les on-dit et la mémoire de ton peuple. Mais jamais, même dans la nuit, avons-nous cru qu’il pourrait prévaloir contre les Enfants d’Eru. Celui-ci il peut le tromper, ou celui-là il peut le corrompre, mais pour changer le destin d’un peuple entier des Enfants, pour leur dérober leur héritage : s’il pouvait faire cela en dépit d’Eru, alors bien plus grand et bien plus terrible est-il, et de loin, que ce que nous avions deviné, alors toute la valeur des Noldor n’est que présomption et folie – non, Valinor et les Montagnes des Pelori sont bâties sur du sable. »

« Vois ! » dit Andreth. « N’avais-je pas dit que vous ne connaissez pas la mort ? Voici ! lorsque tu as à l’affronter en pensée seulement, alors que nous la connaissons par son action et en pensée toute notre vie, tu tombes aussitôt dans le désespoir. Nous savons, si vous ne le savez pas, que le Sans-Nom est Seigneur du Monde, et votre valeur, et la nôtre également, est folie, ou pour le moins elle est stérile. »

« Prends garde ! » dit Finrod. « Prends garde, de peur que tu ne prononces l’imprononçable, volontairement ou par ignorance, en confondant Eru avec l’Ennemi, qui t’aurait entendu parler avec délice. Le Seigneur de ce Monde n’est pas lui, mais l’Unique qui l’a fait, et son Vice-régent est Manwë, le Roi Ancien d’Arda, qui est béni.

« Non, Andreth, l’esprit assombri et éperdu, s’incliner et pourtant détester ; s’enfuir et pourtant ne pas rejeter ; aimer le corps et pourtant le mépriser, le dégoût de la charogne : ces choses peuvent venir du Morgoth, en vérité. Mais destiner les immortels à la mort, de père en fils, et pourtant leur laisser le souvenir d’un héritage enlevé, et le désir pour ce qui est perdu : le Morgoth pourrait-il faire cela ? Non, dis-je. Et c’est pour cette raison que je disais que si ce que tu dis est vrai, alors tout en Arda est vain, du pinacle d’Oiolossë aux plus profonds abysses. Car je ne crois pas à ce que tu dis. Personne ne pourrait avoir fait cela, à part l’Unique.

« C’est pourquoi je te le dis, Andreth, qu’avez-vous fait, vous les Hommes, il y a longtemps dans les ténèbres ? Comment avez-vous mis Eru en colère ? Car autrement tous vos contes ne sont que des rêves sombres conçus dans un Esprit Ténébreux. Diras-tu ce que tu sais, ou as entendu ? »

« Je ne le dirai pas, » dit Andreth. « Nous ne parlons pas de cela à ceux qui sont d’une autre race. Mais en vérité, les Sages ne sont pas certains d’eux et parlent avec des voix discordantes, car quoiqu’il arrivât il y a longtemps, nous l’avons fuit ; nous avons essayé d’oublier, et nous l’avons essayé si longtemps que maintenant nous ne pouvons nous rappeler aucun temps où nous n’étions pas tels que maintenant, sauf seulement des légendes de jours où la mort arrivait moins promptement et où notre durée de vie était encore bien plus longue, mais la mort était déjà là. »

« Vous ne pouvez vous rappeler ? » dit Finrod. « N’y a-t-il aucun conte de vos jours avant la mort, bien que vous ne les disiez pas aux étrangers ? »

« Peut-être, » dit Andreth. « S’il n’y en a pas parmi mon peuple, alors peut-être parmi le peuple d’Adanel. » Elle devint silencieuse, et contempla le feu.

« Croyez-vous que personne à part vous-mêmes ne sache ? » dit finalement Finrod. « Les Valar ne savent-ils pas ? »

Andreth leva la tête et ses yeux s’assombrirent ; « Les Valar ? » dit-elle. « Comment pourrais-je le savoir, ou aucun Homme ? Vos Valar ne nous dérangent ni avec leur attention, ni avec leur instruction. Ils ne nous ont envoyé aucune convocation. »

« Que sais-tu d’eux ? » dit Finrod. « Je les ai vus et ai demeuré parmi eux, et je me suis tenu dans la Lumière en présence de Manwë et de Varda. Ne parle pas d’eux ainsi, ni de quoi que ce soit qui est loin au-dessus de toi. De tels mots sont pour la première fois sortis de la Bouche Menteuse.

« Cela ne t’est-il jamais venu à l’esprit, Andreth, que hors d’ici, dans des âges passés depuis longtemps, vous avez pu vous mettre vous-mêmes hors de leur attention, et au-delà de l’atteinte de leur aide ? Ou même que vous, les Enfants des Hommes, n’étiez pas un sujet sur lequel ils pouvaient gouverner ? Car vous étiez trop grands. Oui, c’est bien ce que je veux dire, et je ne fais pas que flatter votre orgueil : trop grands. Seuls maîtres de vous-mêmes dans les limites d’Arda, dans la main de l’Unique. Prends garde alors à la façon dont tu parles ! Si vous n’allez pas parler aux autres de votre blessure, ou comment vous y êtes arrivés, tenez-en compte de peur que (comme des guérisseurs non qualifiés) vous ne jugiez mal la blessure, ou dans votre orgueil ne blâmiez pas ce qu’il faut.

« Mais tournons-nous maintenant vers d’autres sujets, puisque tu ne diras rien de plus là-dessus. Je considèrerais votre premier état avant la blessure. Car ce que tu dis de cela est également pour moi un étonnement, et dur à comprendre. Tu dis : « nous n’étions pas faits pour la mort, ni nés pour jamais mourir. » Que veux-tu dire : que vous étiez comme nous le sommes, ou autrement ? »

« Cette tradition ne tient pas compte de vous, » dit Andreth, car nous ne savions rien des Eldar. Nous considérions seulement mourir et ne pas mourir. D’une vie aussi longue que le monde, mais pas plus longue, nous n’avions rien entendu ; en vérité cela n’avait pas pénétré dans mon esprit jusqu’à présent. »

« Pour parler franchement, » dit Finrod, « j’avais cru que cette croyance qui est la vôtre, que vous n’étiez pas non plus faits pour la mort, n’était qu’un rêve de votre orgueil, engendré par envie des Quendi, pour les égaler ou les surpasser. Il n’en est pas ainsi, vas-tu dire. Pourtant, longtemps avant que vous n’arriviez dans ce pays, vous avez rencontré d’autres peuples des Quendi, et vous êtes devenus les amis de certains. N’étiez-vous pas déjà mortels ? Et n’avez-vous jamais parlé avec eux de la vie et de la mort ? Bien que sans aucun mot, ils aient eu tôt fait de découvrir votre mortalité, et avant peu vous auriez perçu qu’ils ne mouraient pas. »

« Je le dis en vérité, « il n’en est pas ainsi », » répondit Andreth. « Nous avons pu être mortels quand nous avons rencontré les Elfes pour la première fois il y a bien longtemps, ou peut-être ne l’étions-nous pas : nos traditions ne le disent pas, ou du moins aucune que j’ai apprise. Mais nous avions déjà nos traditions, et n’avions besoin d’aucune venant des Elfes : nous savions qu’au commencement nous étions nés pour ne jamais mourir. Et par cela, mon seigneur, nous voulons dire : nés pour vivre éternellement, sans aucune ombre d’aucune fin. »

« Alors, les Sages parmi vous ont-ils considéré à quel point est étrange la vraie nature qu’ils revendiquent pour les Atani ? » dit Finrod.

« Est-ce si étrange ? » dit Andreth. « De nombreux Sages soutiennent que dans leur vraie nature, aucune chose vivante ne mourrait. »

« En cela les Eldar diraient qu’ils sont dans l’erreur, » dit Finrod. « Pour nous, ta revendication pour les Hommes est étrange, et en vérité dure à accepter, pour deux raisons. Tu affirmes, si tu comprends pleinement tes propres mots, avoir eu des corps impérissables, non liés par les limites d’Arda, et pourtant dérivés de sa matière et maintenus par elle. Et tu affirmes également (bien que cela, tu puisses ne pas l’avoir discerné) avoir eu des hröar et des fëar qui dès le commencement n’étaient pas en harmonie. Pourtant l’harmonie du hröa et du fëa est, croyons-nous, essentielle à la vraie nature non marrie de tous les Incarnés : les Mirröanwi, comme nous appelons les Enfants d’Eru. »

« Je discerne bien la première difficulté, » dit Andreth, « et à cela nos Sages ont leur propre réponse. La deuxième, comme tu le devines, je ne la discerne pas. »

« Tu ne la discernes pas ? » dit Finrod. « Alors tu ne te vois pas clairement toi-même. Mais il peut souvent arriver que des amis ou des parents voient clairement certaines choses qui sont cachées pour leur ami lui-même.

« Il se trouve que nous les Eldar sommes vos parents, et vos amis également (si tu veux bien le croire), et nous vous avons déjà observé au long de trois vies d’Hommes avec amour, attention et beaucoup de réflexion. De cela nous sommes alors certains, sans aucun débat, ou bien alors toute notre sagesse est vaine : les fëar des Hommes, bien qu’étroitement apparentés en vérité avec les fëar des Quendi, ne sont pourtant pas les mêmes. Car aussi étrange que cela nous paraisse, nous voyons clairement que les fëar des Hommes ne sont pas, comme les nôtres, confinées en Arda, ni qu’Arda est leur demeure.

« Pouvez-vous le démentir ? Nous, Eldar, ne démentons pas que vous aimiez Arda et tout ce qui s’y trouve (autant que vous êtes libres de l’Ombre) peut-être même aussi considérablement que nous. Pourtant d’une autre façon. Chacune de nos parentés perçoit Arda différemment, et estime ses beautés dans différents modes et différents degrés. Comment le dirais-je ? Pour moi, cette différence semble comme celle qui se trouve entre quelqu’un qui visite un pays étrange, et y demeure un moment (mais n’en a pas besoin), et quelqu’un qui a toujours vécu dans ce pays (et y est obligé). Pour le premier, toutes les choses qu’il voit sont nouvelles et étranges, et pour cela dignes d’être aimées. Pour l’autre, toutes les choses sont familières, les seules choses qui sont, les siennes propres, et pour cela précieuses. »

« Si tu veux dire que les Hommes sont les invités, » dit Andreth.

« Tu as prononcé le mot, » dit Finrod : « c’est ce nom que nous vous avons donné. »

« Princier comme toujours, » dit Andreth. « Mais même si nous ne sommes que des invités dans un pays où tout est à vous, mes seigneurs, comme tu le dis, dis-moi quel autre pays ou autres choses connaissons-nous ? »

« Non, dis-le-moi ! » dit Finrod. « Car si tu ne le sais pas, comment le pouvons-nous ? Mais sais-tu que les Eldar disent des Hommes qu’ils ne regardent aucune chose pour elle-même ; que s’ils l’étudient, c’est pour découvrir quelque chose d’autre ; que s’ils l’aiment, c’est seulement (ainsi le semble-t-il) parce qu’elle leur rappelle une autre chose chère à leurs yeux ? Pourtant, avec quoi est faite cette comparaison ? Où sont ces autres choses ?

« Nous sommes, aussi bien les Elfes que les Hommes, en Arda et d’Arda ; et une connaissance telle que celle que les Hommes ont provient d’Arda (ou ainsi cela apparaîtrait-il). D’où proviennent donc ces souvenirs que vous avez avec vous, avant même que vous ne commenciez à apprendre ?

« Ce n’est pas d’autres régions d’Arda d’où vous avez voyagé. Nous aussi avons voyagé depuis bien loin. Mais même si nous allions toi et moi ensemble à vos anciennes demeures loin à l’est, je devrais reconnaître les choses qui s’y trouvent comme une partie de ma demeure, mais je devrais voir dans vos yeux le même étonnement et la même comparaison que je vois dans les yeux des Hommes en Beleriand qui y sont nés. »

« Tu prononces d’étranges paroles, Finrod, » dit Andreth, « que je n’ai pas entendues auparavant. Pourtant mon cœur est remué comme par une vérité qu’il reconnaît, même sans la comprendre. Pourtant ce souvenir est fugace, et s’en va avant qu’on puisse le saisir ; et alors nous devenons plus aveugles. Et ceux parmi nous qui ont connu les Eldar, et peut-être les ont aimés, disent à nos côtés : « Il n’y a pas de lassitude dans les yeux des Elfes ». Et nous trouvons qu’ils ne comprennent pas cet adage qui a cours parmi les Hommes : ce qui est vu trop souvent n’est plus vu. Et ils s’étonnent grandement que dans les langues des Hommes, le même mot puisse à la fois signifier « connu de longue date » et « dénué de son charme ».

« Nous avons pensé qu’il en était ainsi seulement parce que les Elfes ont une vie qui dure et une vigueur non diminuée. Des « enfants adultes » vous appelons-nous parfois, nous, les invités, mon seigneur. Et pourtant… et pourtant, si pour nous rien en Arda ne conserve longtemps sa saveur, et si toutes les belles choses s’affaiblissent, et alors ? Cela ne vient-il pas de l’Ombre sur nos cœurs ? Ou dis-tu qu’il n’en est pas ainsi, mais que cela a toujours été dans notre nature, même avant la blessure ? »

« Je dis cela, en vérité, » répondit Finrod. « L’Ombre peut avoir assombri votre malaise, apportant une lassitude plus prompte et la tournant bientôt en dédain, mais la lassitude a toujours été là, je crois. Et si c’est ainsi, alors ne peux-tu maintenant percevoir la disharmonie dont je parlais ? Si en vérité votre Sagesse a des traditions semblables aux nôtres, enseignant que les Mirröanwi sont faits de l’union d’un corps et d’un esprit, d’un hröa et d’un fëa, ou comme nous le disons de façon imagée, la Demeure et l’Habitant.

« Car qu’est-ce que la mort dont tu t’endeuilles, sinon la séparation des deux ? Et qu’est-ce que la « non-mortalité » que vous avez perdue sinon que les deux devraient rester unis pour toujours ?

« Mais qu’allons-nous penser alors de l’union d’un Homme : d’un Habitant, qui n’est qu’un invité ici en Arda et non pas chez lui, avec une Demeure qui est construite à partir de la matière d’Arda et doit par conséquent (pourrait-on supposer) y rester ?

« Pour le moins, pas un n’espérerait pour cette Demeure une vie plus longue que celle d’Arda dont elle fait partie. Portant, tu affirmes que cette Demeure également était immortelle, n’est-ce pas ? Pour ma part, je croirais plutôt qu’un tel fëa de sa propre nature aurait à un certain moment abandonné de son propre gré la demeure de son séjour ici, même si le séjour eut pu être plus long que ce qui est maintenant permis. Alors la mort aurait (comme je l’ai dit) semblé autre à vos yeux : comme une libération, ou un retour, non ! Comme aller chez soi ! Mais cela, vous ne le croyez pas, semble-t-il ? »

« Non, je ne le crois pas, » dit Andreth. « Car cela serait mépris du corps, et c’est une pensée des Ténèbres, qui n’est naturelle à aucun des Incarnés dont la vie non corrompue est une union d’amour mutuel. Mais le corps n’est pas une auberge pour garder un voyageur au chaud pendant la nuit, avant qu’il n’aille son chemin, puis en recevoir un autre. C’est une demeure faite pour un habitant seulement, en vérité non seulement une demeure mais des habits également ; et il n’est pas clair à mes yeux que nous ne devions seulement parler dans ce cas d’habits étant à la convenance de celui qui les porte plutôt que le porteur étant à la convenance des habits.

« Je soutiens alors qu’il ne doit pas être pensé que la séparation des ces deux choses pourrait être en accord avec la vraie nature des Hommes. Car s’il était « naturel » pour le corps d’être abandonné et de mourir, mais « naturel » pour le fëa de continuer à vivre, alors il y aurait effectivement une disharmonie en l’Homme, et ses parties ne seraient pas unies par amour. Son corps serait au mieux une entrave, ou une chaîne. Quelque chose d’imposé en vérité, pas un don. Mais il en est un qui impose, et qui conçoit les chaînes, et si telle était notre nature au commencement, alors nous devrions le tenir de lui – mais cela, tu dis que cela ne doit pas être prononcé.

« Hélas ! En dehors, dans les ténèbres, les hommes le disent néanmoins, mais pas les Atani que tu connais, pas à présent. Je soutiens qu’en cela nous sommes comme vous êtes, véritables Incarnés, et que nous ne vivons notre bonne existence dans sa plénitude que dans une union d’amour et de paix entre la Demeure et son Habitant. La mort, qui les divise, est donc un désastre pour les deux. »

« Toujours plus stupéfies-tu ma pensée, Andreth, » dit Finrod. « Car si ton affirmation est vraie, alors voici ! un fëa qui n’est ici qu’un voyageur est marié indissolublement à un hröa d’Arda ; les diviser est une blessure douloureuse ; et pourtant chacun doit réaliser sa vraie nature sans tyrannie de la part de l’autre. Alors, ceci doit sûrement en découler : le fëa quand il prend son départ doit emporter avec lui le hröa. Et que cela peut-il dire, sinon que le fëa aura le pouvoir de remonter le hröa avec lui, comme son époux et son compagnon éternels, dans une endurance durant éternellement, au-delà d’Eä, et au-delà du Temps ? De cette façon, Arda, ou une partie de celle-ci, serait guérie non seulement de l’atteinte de Melkor, mais même libérée des limites qui lui ont été instaurées dans la « Vision d’Eru » dont parlent les Valar.

« C’est pourquoi je dis que si cela peut être cru, alors puissants après Eru étaient en vérité les Hommes à leur commencement, et bien plus terrifiant que toute calamité fut le changement de leur état.

« C’est, alors, à une vision de ce qui fut conçu pour être quand Arda fut achevée (de choses vivantes et même des pays et mers eux-mêmes d’Arda, créés éternels et indestructibles, à jamais beaux et neufs) que les fëar des Hommes comparent ce qu’ils voient ici ? Ou y a-t-il quelque part ailleurs un monde duquel les choses que nous voyons, toutes les choses que les Elfes aussi bien que les Hommes connaissent, ne sont que des témoignages ou des rappels ? »

« S’il en est ainsi, cela réside dans l’esprit d’Eru, je pense, » dit Andreth. « À de telles questions, comment pouvons-nous trouver des réponses, ici, dans les brumes d’Arda Marrie ? Il aurait pu en être autrement, n’aurions-nous pas été changés ; mais étant ce que nous sommes, même les Sages parmi nous n’ont accordé que trop peu de pensées à Arda elle-même, ou aux autres choses qui y demeurent. Nous avons principalement réfléchi sur nous-mêmes : sur la façon dont nos hröar et fëar devraient avoir demeuré ensemble à jamais en joie, et sur les ténèbres impénétrables qui maintenant nous attendent. »

« Alors, les Hauts Eldar ne sont pas les seuls à être oublieux de leur parenté ! » dit Finrod. « Mais cela m’est étrange, et de même que fit ton cœur lorsque je parlais de votre malaise, ainsi à présent le mien tressaille comme à l’écoute de bonnes nouvelles.

« Alors ceci, m’avancé-je à dire, était la mission des Hommes, non pas les suivants, mais les héritiers et les réalisateurs de tout : guérir le Marrissement d’Arda, déjà accompli avant leur conception ; et faire plus, comme agents de la magnificence d’Eru : élargir la Musique et surpasser la Vision du Monde !

« Car cette Arda Guérie ne sera pas Arda Non Marrie, mais une troisième chose, plus grande, et pourtant la même. J’ai conversé avec les Valar qui étaient présents à la réalisation de la Musique avant le début de l’existence du Monde. Et à présent je m’étonne : ont-ils entendu la fin de la Musique ? N’y avait-il rien dans ou au-delà des accords finaux d’Eru que, étant ébloui par ceux-ci, ils n’aient perçu ?

« Ou encore, puisque Eru est à jamais libre, peut-être n’a-t-il fait aucune Musique et montré aucune Vision au-delà d’un certain point. Au-delà de ce point, nous ne pouvons voir ni savoir, jusqu’à ce que nous y parvenions par nos propres chemins, Valar, Eldar ou Hommes.

« De même, un maître pourrait, alors qu’il raconterait des contes, garder secret le plus beau passage jusqu’au moment opportun. Cela pourrait être deviné en vérité, dans une certaine mesure, par ceux d’entre nous qui ont écouté avec tout leur cœur et toute leur attention, mais le conteur le souhaiterait. En aucune façon la surprise et l’émerveillement de son art ne seraient ainsi diminués, car ainsi nous partageons, pour ainsi dire, sa paternité d’auteur. Mais cela ne serait pas le cas, si tout nous était dit dans une préface avant même que nous n’y pénétrions ! »

« Alors, comment vois-tu ce suprême moment qu’Eru a réservé ? » demanda Andreth.

« Ah, sage dame ! » dit Finrod. « Je suis un Elda, et je pensais à nouveau à mon propre peuple. Mais non, à tous les Enfants d’Eru. Je pensais que par le biais des Seconds Enfants, nous pourrions avoir été délivrés de la mort. Car alors même que nous parlions de la mort comme d’une division de ce qui est uni, je pensais dans mon cœur à une mort qui n’est pas ainsi : mais la fin ensemble des deux. Car c’est ce qui se trouve devant nous, aussi loin que notre raison puisse voir : l’achèvement d’Arda et sa fin, et par là également de nous les enfants d’Arda ; la fin où toutes les longues vies des Elfes appartiendront totalement au passé.

« Et puis soudainement je vis comme une vision Arda Refaite ; et là les Eldar achevés mais non pas finis pouvaient demeurer à jamais en ce présent, et y marcher, peut-être, avec les Enfants des Hommes, leurs délivreurs, et leur chanter des chansons telles que, même dans la Béatitude au-delà de la béatitude, elles devraient faire résonner les vertes vallées et faire vibrer comme des harpes les sommets des montagnes éternelles. »

Alors Andreth adressa de sous ses sourcils un regard à Finrod : « Et que nous diriez-vous, lorsque vous ne seriez pas en train de chanter ? » demanda-t-elle.

Finrod rit. « Je ne peux que le deviner, » dit-il. « Mais, sage dame, je pense que nous vous raconterions des contes du Passé, et d’Arda qui était Avant, des périls, des hauts faits et de la fabrication des Silmarils ! Nous étions les seigneurs alors ! Mais vous, vous seriez chez vous alors, regardant chaque chose attentivement, comme les vôtres propres. Vous seriez les seigneurs. « Les yeux des Elfes pensent toujours à quelque chose d’autre, » diriez-vous. Mais vous sauriez alors ce que nous nous rappellerions : les jours où nous nous sommes rencontrés pour la première fois, et où nos mains se sont touchées dans le noir. Au-delà de la Fin du Monde nous ne changerons pas ; car dans le souvenir réside notre grande force, comme cela sera vu toujours plus clairement à mesure que les Âges d’Arda passeront : un lourd fardeau, je le crains, mais aux Jours dont nous parlons à présent, une grande richesse. » Puis il marqua une pause, car il vit qu’Andreth pleurait en silence.

« Hélas, seigneur ! » dit-elle. « Que devons-nous faire alors à présent ? Car nous parlons comme si ces choses étaient, ou comme si elles seraient assurément. Mais les Hommes ont été diminués, et leur pouvoir est enlevé. Nous ne recherchons aucune Arda Refaite : les ténèbres s’étendent devant nous, dans lesquelles nous plongeons le regard en vain. Si par notre aide vos demeures devaient être préparées, elles ne seront pas construites maintenant. »

« N’avez-vous donc aucun espoir ? » dit Finrod.

« Qu’est-ce que l’espoir ? » dit-elle. « Une attente du bien, qui bien qu’incertaine repose en partie sur ce qui est connu ? Alors nous n’en avons aucun. »

« C’est une chose que les Hommes appellent « espoir », » dit Finrod. « Amdir l’appelons-nous, « l’expectative ». Mais il y a autre chose, qui repose sur quelque chose de plus profond. Estel l’appelons-nous, c’est-à-dire « confiance ». Il n’est pas vaincu par les moyens du monde, car il ne vient pas de l’expérience, mais de notre nature et de notre existence première. Si nous sommes effectivement les Eruhin, les Enfants de l’Unique, alors Il ne souffrira pas d’être dépossédé de Son bien par aucun Ennemi, pas même par nous-mêmes. C’est le dernier support d’Estel, que nous conservons même lorsque nous contemplons la Fin : de tous Ses desseins, l’issue doit être pour la joie de Ses Enfants. Amdir, vous ne l’avez pas, dis-tu. Aucun Estel ne demeure-t-il en vous ? »

« Peut-être, » dit-elle. « Mais non ! Ne perçois-tu pas que c’est une part de notre blessure qu’Estel doive s’altérer et ses fondations être secouées ? Sommes-nous les Enfants de l’Unique ? Ne sommes-nous pas finalement rejetés ? Ou étions-nous toujours ainsi ? Le Sans-Nom n’est-il pas le Seigneur du Monde ? »

« Ne le dis pas même en question ! » dit Finrod.

« Cela ne peut pas ne pas être dit, » répondit Andreth, « si tu comprenais le désespoir dans lequel nous marchons. Ou dans lequel la plupart des Hommes marchent. Parmi les Atani, comme vous nous appelez, ou les Quêteurs comme nous disons : ceux qui ont quitté les pays du désespoir et les Hommes des Ténèbres et voyagé vers l’ouest en vain espoir : on croit que la guérison peut pourtant être trouvée, ou qu’il y a une évasion. Mais est-ce en vérité Estel ?N’est-ce pas plutôt Amdir, mais sans raison : plus une fuite dans un rêve du réveil qu’ils connaissent : qu’on ne peut échapper aux ténèbres et à la mort ? »

« Plus une fuite dans un rêve dis-tu, » répondit Finrod. « Dans un rêve, beaucoup de désirs sont révélés, et le désir peut être la dernière lueur d’Estel. Mais tu ne veux pas dire rêve, Andreth. Tu confonds rêve et réveil avec espérance et croyance, pour rendre l’un plus douteux et l’autre plus sûr. Dorment-ils quand ils parlent d’évasion et de guérison ? »

« Endormis ou éveillés, ils ne disent rien de clair, » répondit Andreth. « Comment ou quand viendra la guérison ? Pour quelle sorte d’existence ceux qui verront ces temps seront-ils refaits ? Et qu’advient-il de nous, qui avant cela sortons dans les ténèbres non guéries ? À de telles questions, seuls ceux de l’« Ancienne Espérance » (comme ils se nomment eux-mêmes) devinent un tant soit peu une réponse. »

« Ceux de l’Ancienne Espérance ? » dit Finrod. « Qui sont-ils ? »

« Peu de gens, » dit-elle ; « mais leur nombre s’est accru depuis que nous sommes arrivés dans ce pays, et ils voient que le Sans-Nom peut (pensent-ils) être défié. Pourtant, il n’y a pas de bonne raison. Le défier ne défait pas son travail d’antan. Et si la valeur des Eldar faillit ici, alors leur désespoir n’en sera que plus profond. Car ce n’est pas sur la force des Hommes, ou d’aucun des peuples d’Arda, que l’ancienne espérance était fondée. »

« Qu’était alors cette espérance, si tu le sais ? » demanda Finrod.

« Ils disent, » répondit Andreth, « ils disent que l’Unique entrera lui-même en Arda, et guérira les Hommes et tout le reste du Marrissement depuis le commencement jusqu’à la fin. Cela, disent-ils également, ou le feignent-ils, est une rumeur qui a traversé des années sans nombre, même depuis les jours de notre perte. »

« Ils disent, ils feignent ? » dit Finrod. « N’es-tu alors pas l’une d’entre eux ? »

« Comment le puis-je, seigneur ? Toute la sagesse est contre eux. Qui est l’unique, que vous appelez Eru ? Si nous mettons de côté les Hommes qui servent le Sans-Nom, comme le font beaucoup en Terre du Milieu, beaucoup d’Hommes ne perçoivent toujours le Monde que comme une guerre entre la Lumière et les Ténèbres équipotentes. Mais tu diras : non, c’est Manwë et Melkor ; Eru est au-dessus d’eux. Eru est-il alors seulement le plus grand des Valar, un grand dieu parmi les dieux, comme la plupart des Hommes le diront, même parmi les Atani : un roi qui demeure loin de son royaume et laisse les princes de moindre importance y agir à leur volonté ? À nouveau tu dis : non, Eru est Un, seul sans pair, et Il a fait Eä, et est au-delà d’elle ; et les Valar sont plus grands que nous, mais pourtant pas plus proches de Sa Majesté. N’est-ce pas ainsi ? »

« Oui, » dit Finrod. « Nous disons cela, et nous connaissons les Valar, et ils disent la même chose, à l’exception d’un seul. Mais lequel, penses-tu, est celui qui a le plus de chances de mentir : ceux qui se font humbles, ou celui qui s’exalte lui-même ? »

« Je n’ai pas de doutes, » dit Andreth. « Et pour cette raison, parler d’Espérance dépasse mon entendement. Comment Eru pourrait-il entrer dans une chose qu’Il a faite, et que laquelle Il est plus grand au-delà de toute mesure ? Le chanteur peut-il entrer dans son conte ou le concepteur dans son dessin ? »

« Il est déjà à l’intérieur de celle-ci, aussi bien qu’en dehors, » dit Finrod. « Mais en vérité « ce qui y habite » et « ce qui vit à l’extérieur » ne sont pas sur le même mode. »

« Exact, » dit Andreth. « Ainsi Eru pourrait être présent sur ce mode en Eä qui provient de Lui. Mais ils parlent d’Eru lui-même entrant dans Arda, et c’est quelque chose de complètement différent. Comment pourrait-Il, Lui le plus grand, faire cela ? Cela ne briserait-il pas Arda, ou en vérité tout Eä ? »

« Ne me demande pas cela, » dit Finrod. « Ces choses-là sont au-delà de la portée de la sagesse des Eldar, et peut-être des Valar. Mais je me doute que nos mots pourraient nous induire en erreur, et que quand tu dis « plus grand », tu penses aux dimensions d’Arda, dans lesquelles le plus grand récipient ne pourrait être contenu dans le plus petit.

« Mais de tels mots ne pourraient s’appliquer à l’Infini. Si Eru souhaitait le faire, je ne doute pas qu’il trouverait un moyen, bien que je ne puisse le prévoir. Car, à ce qu’il me semble, même s’Il devait entrer en Lui-même, Il doit toujours rester également tel qu’Il est : l’Auteur extérieur. Et pourtant, Andreth, pour parler avec humilité, je ne peux concevoir aucune autre façon dont cette guérison pourrait être accomplie. Puisque Eru ne souffrira sûrement pas que Melkor tourne le monde à sa propre volonté et à la fin triomphe. Pourtant, il n’y a aucun pouvoir concevable plus grand que Melkor à part Eru seul. Par conséquent, Eru, s’Il ne veut pas céder Son travail à Melkor, qui doit autrement parvenir à sa maîtrise, alors Eru doit venir le conquérir.

« Plus : même si Melkor (ou le Morgoth qu’il est devenu) pouvait en aucune façon être jeté à bas ou expulsé d’Arda, son Ombre demeurerait toujours, et le mal qu’il a œuvré et semé comme une graine croîtrait et multiplierait. Et si quelque remède doit être trouvé pour cela, quelque nouvelle lumière à opposer à l’ombre, ou quelque traitement pour les blessures : alors cela doit, je pense, venir de l’extérieur. »

« Alors, seigneur, » dit Andreth, et elle leva les yeux d’étonnement, « tu crois en cette espérance ? »

« Ne me le demande pas encore, » répondit-il. « Car ce ne sont toujours pour moi que des nouvelles étranges qui viennent de loin. Aucune espérance telle que celle-ci n’a jamais été dite aux Quendi. À vous seuls elle fut envoyée. Et pourtant, à travers vous, nous pourrions l’entendre et nos cœurs tressaillir. » Il s’arrêta un instant, puis, regardant Andreth gravement, dit : « Oui, Femme-Sage, peut-être fut-il ordonné que nous les Quendi, et vous les Atani, avant que le monde ne devienne vieux, devions nous rencontrer et nous apporter des nouvelles les uns aux autres, et ainsi nous devions apprendre de vous cette Espérance : ordonné, en vérité, que toi et moi, Andreth, devions nous tenir assis ici et parler ensemble, au-dessus du fossé qui sépare nos parentés, de façon à ce que, alors que l’Ombre stagne toujours sur le Nord, nous ne devions pas être complètement effrayés. »

« Au-dessus du fossé qui sépare nos parentés ! » dit Andreth. « N’y a-t-il aucun pont que de simples mots ? » Et elle pleura à nouveau.

« Il se pourrait. Pour certains. Je ne sais pas, » dit-il. « Le fossé, peut-être, est plutôt entre nos destins, car autrement nous sommes proches parents, plus proches que n’importe quelles autres créatures au monde. Pourtant, il est périlleux de franchir un fossé instauré par le destin ; et si d’aucuns devaient le faire, ils ne trouveraient pas la joie de l’autre côté, mais les chagrins des deux côtés à la fois. Ainsi je me prononce.

« Mais pourquoi dis-tu « de simples mots » ? Les mots ne sont-ils pas une passerelle au-dessus du fossé entre une vie et une autre ? Entre toi et moi, il est sûrement plus passé qu’un son vide ? Ne nous sommes-nous pas du tout approchés ? Mais cela n’est, je pense, que de peu de réconfort pour toi. »

« Je n’ai pas demandé du réconfort, » dit Andreth. « Pourquoi en ai-je besoin ? »

« Pour le destin des Hommes qui t’a touché en tant que femme, » dit Finrod. « Penses-tu que je ne sache pas ? N’est-il pas mon frère tendrement chéri ? Aegnor : Aikanár, la Flamme-Vive, prompt et ardent. Et les années ne sont pas longues depuis que vous vous êtes rencontrés pour la première fois, et que vos mains se sont touchées dans l’obscurité. Pourtant alors tu étais une damoiselle, brave et ardente, dans le matin sur les hautes collines de Dorthonion. »

« Poursuis donc ! » dit Andreth. « Dis : qui n’est maintenant qu’une femme-sage, seule, et l’âge qui ne le touchera pas a déjà mis le gris de l’hiver dans tes cheveux ! « 

« Hélas ! » dit Finrod. « C’est l’amertume, adaneth aimée, femme des Hommes, n’est-ce pas ? qui découle de tous tes mots. Si je pouvais prononcer quelque parole de réconfort, tu la considèrerais princière de la part de quelqu’un qui se trouve de mon côté du destin séparateur. Mais que puis-je dire, à part te rappeler l’espérance que tu as toi-même révélée ? »

« Je n’ai pas dit que ce fusse jamais mon espérance, » répondit Andreth. « Et même s’il en était ainsi, je pleurerais toujours : pourquoi cette blessure doit-elle arriver ici et maintenant ? Pourquoi devrions-nous vous aimer, et pourquoi devriez-vous nous aimer (si vous nous aimez), et pourtant instaurer le fossé entre nous ? »

« Parce que nous avons été faits ainsi, proches parents, » dit Finrod. « Mais nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes, et par conséquent nous, les Eldar, n’avons pas instauré ce fossé. Non, adaneth, nous ne sommes pas princiers en ceci, mais remplis de pitié. Ce mot va te déplaire ? Pourtant, la pitié est de deux sortes : l’une vient d’une parenté reconnue, et est proche de l’amour ; l’autre vient de la différence de fortune reçue, et est proche de l’orgueil. Je parle, moi, de la première. »

« Ne me parle d’aucune ! » dit Andreth. « Je n’en désire aucune. J’étais jeune et je regardais sa flamme, et à présent je suis vieille et perdue. Il était jeune et sa flamme bondit vers moi, mais il s’est détourné, et il est toujours jeune. Les bougies ont-elles pitié des papillons de nuit ? »

« Ou les papillons de nuit des bougies, quand le vent les souffle ? » dit Finrod. « Adaneth, je te le dis, Aikanár la Flamme-Vive t’aime. Par égard pour toi, à présent, il ne demandera jamais la main d’aucune vierge de sa propre parenté, mais vivra seul jusqu’à la fin, se rappelant le matin sur les collines de Dorthonion. Mais trop tôt s’en ira sa flamme sous le vent du Nord ! La voyance est donnée aux Eldar en de nombreuses choses qui ne sont pas très éloignées, bien que rarement joyeuses, et je te le dis, tu vivras longtemps au compte de ton espèce, et il partira de l’avant avant toi, et il ne souhaitera pas revenir. »

Alors Andreth se leva et étira ses mains vers le feu. « Alors pourquoi s’est-il détourné ? Pourquoi me quitter alors que j’avais encore quelques bonnes années à passer ? »

« Hélas ! » dit Finrod. « Je crains que la vérité ne te satisfasse pas. Les Eldar sont une race, et vous une autre, et chacun juge les autres par eux-mêmes – jusqu’à ce qu’ils apprennent, ce que peu font. C’est un temps de guerre, Andreth, et en de tels jours les Elfes ne se marient ni ne portent d’enfants ; mais se préparent à la mort – ou à la fuite. Aegnor n’a pas confiance (ni moi) dans la durée de ce siège d’Angband ; et après qu’adviendra-t-il de ce pays ? Si son cœur décidait, il aurait souhaité t’emporter et fuir au loin, à l’est ou au sud, abandonnant sa parenté, et la tienne. L’amour et la loyauté le tiennent à la sienne. Qu’advient-il de la tienne pour toi ? Tu as dit toi-même qu’il n’y a pas d’évasion par la fuite dans les limites du monde. »

« Pour une année, un jour, de la flamme j’aurais tout donné : la parenté, la jeunesse, et l’espérance elle-même : adaneth je suis », dit Andreth.

« Cela il le savait, dit Finrod, « et il s’est retiré et n’a pas saisi ce qu’il tenait dans sa main : elda il est. Car de tels trocs se paient par une angoisse qui ne peut être devinée, jusqu’à ce que cela vienne, et les Eldar jugent qu’ils sont faits par ignorance plutôt que par courage.

« Non, adaneth, si quelque mariage peut être entre notre parenté et la tienne, alors il en sera pour quelque haut dessein du Destin. Bref il sera et dur à la fin. Oui, le destin le moins cruel qui pourrait survenir serait que la mort y mette bientôt fin. »

« Mais la fin est toujours cruelle - pour les Hommes, » dit Andreth. « Je ne l’aurais pas dérangé, une fois ma courte jeunesse passée. Je n’aurais pas boitillé comme une vielle sorcière derrière ses pieds brillants, une fois que je ne pouvais plus courir à ses côtés ! »

« Peut-être pas, » dit Finrod. « C’est ce que tu ressens maintenant. Mais penses-tu à lui ? Il n’aurait pas couru devant toi. Il serait resté à ton côté pour te soutenir. Alors, à chaque heure aurais-tu ressenti de la pitié, une pitié à laquelle on ne peut échapper. Il ne t’aurait pas rendue si honteuse.

« Andreth adaneth, la vie et l’amour des Eldar repose grandement sur le souvenir, et nous (si ce n’est pas votre cas) préférons un souvenir qui est beau mais inachevé à un autre qui continue jusqu’à une fin douloureuse. À présent, il se souviendra toujours de toi dans le soleil du matin, et ce dernier soir l’eau d’Aeluin dans laquelle il vit ton visage se refléter, une étoile prise dans tes cheveux – à jamais, jusqu’à ce que le vent du Nord apporte la nuit de sa flamme. Oui, et après cela, assis dans la Maison de Mandos dans les Salles de l’Attente jusqu’à la fin d’Arda. »

« Et que me rappellerai-je ? » demanda-t-elle. « Et quand je partirai, dans quelles salles arriverai-je ? Dans une obscurité dans laquelle même le souvenir de la flamme vive sera étouffé ? Même le souvenir du rejet. Au moins cela. »

Finrod soupira et se leva. « Les Eldar n’ont pas de paroles de guérison pour de telles pensées, adaneth, » dit-il. « Mais souhaiterais-tu que les Elfes et les Hommes ne se soient jamais rencontrés ? La lumière de la flamme, qu’autrement tu n’aurais jamais vue, n’est-elle d’aucune valeur, même maintenant ? Tu te crois méprisée ? Rejette au loin cette pensée au moins, qui provient des Ténèbres, et alors notre discussion ensemble n’aura pas été totalement vaine. Adieu ! »

 

L’obscurité tomba dans la pièce. Il prit sa main à la lumière du feu. « Où vas-tu ? » demanda-t-elle.

« Vers le nord, » dit-il : « vers les épées, le siège, et les murs de la défense – pour qu’un moment encore en Beleriand les rivières puissent s’écouler claires, les feuilles bourgeonner, et les oiseaux bâtir leurs nids, avant que la Nuit arrive. »

« Sera-t-il là, brillant et grand, le vent dans les cheveux ? Dis-lui. Dis-lui de ne pas être imprudent. De ne pas rechercher le danger plus qu’il n’est nécessaire ! »

« Je lui dirai, » dit Finrod. « Mais je pourrais aussi bien te dire de ne pas pleurer. C’est un guerrier, Andreth, et un esprit de colère. Dans chaque coup qu’il assène, il voit l’Ennemi qui il y a bien longtemps te fit cette blessure.

« Mais tu n’es pas pour Arda. Là où tu iras, puisses-tu trouver la lumière. Attends-nous là, mon frère – et moi. »



[1] Cela pourrait être aux environs de 409, durant la Longue Paix (260 – 455). À cette époque, Belemir et Adanel étaient vieux aux yeux des Hommes, étant âgés d’environ 70 ans, mais Andreth était en pleine vigueur, n’ayant pas encore 50 ans (48). Elle était célibataire, ce qui était assez commun pour les Femmes Sages des Hommes.

[2] Il avait 93 ans.

[3] En 310, environ 100 ans avant cela.

 

Retour à la page d'accueil

Retour à la page des Minerais